La crise sanitaire cachée : l'accès aux toilettes en Afrique, un enjeu vital
6 minutesAccès aux toilettes en Afrique : un enjeu de santé publique majeur
Des conséquences mortelles
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les diarrhées causées par la présence de bactéries, de parasites et de bacilles dans l’eau sont responsables de 8% des décès en Afrique. Un chiffre qui dépasse celui du paludisme. Même l’Afrique du Sud, pays le plus riche et industrialisé du continent, a récemment été touchée par une grave épidémie de choléra, mettant en évidence la détérioration des services d’eau publics minés par la corruption.
Dangers alimentaires
En plus des risques liés à l’eau, l’OMS estime qu’au moins 10% de la population mondiale consomme des aliments provenant de cultures irriguées par des eaux usées non traitées. Cette pratique expose un demi-milliard de personnes à des maladies potentiellement mortelles.
La défécation à l’air libre, un fléau
Dans le monde, environ 500 millions de personnes pratiquent la “défécation à l’air libre”. En Afrique de l’Ouest et centrale, ce sont près de 120 millions de personnes qui n’ont pas accès à des toilettes et sont contraintes de se soulager en plein air. Les conséquences de cette pratique sont désastreuses pour les cours d’eau, les lacs et les littoraux qui se retrouvent pollués par les communautés qui n’ont pas d’autres choix.
Des conditions sanitaires précaires dans les écoles
Dans de nombreuses écoles africaines, le manque de moyens se traduit par l’absence de toilettes propres et sûres. Les enfants sont alors contraints de se retenir ou de se soulager comme ils peuvent. En particulier, les filles sont plus exposées aux violences et à l’isolement en raison du tabou persistant autour des menstruations. Les accidents graves liés aux toilettes, comme celui qui est survenu dans une école rurale sud-africaine en mars, sont fréquents.
Des défis persistants
Malgré des progrès significatifs dans l’accès à l’eau potable, la situation en matière d’assainissement en Afrique reste préoccupante. Selon le dernier rapport de l’Unicef, 73% des ménages ont accès à l’eau potable, tandis que seulement 57% ont accès à un assainissement sûr. Les pertes humaines et économiques causées par ce manque d’assainissement sont énormes, notamment dans les pays les plus touchés. La Banque mondiale estime que ces pertes se chiffrent en plusieurs points de PIB.
L’urgence de développer les infrastructures
Face à ce défi majeur, les acteurs internationaux appellent les gouvernements à accorder la priorité au développement des infrastructures d’assainissement. Cette nécessité est d’autant plus urgente que la crise du Covid-19 a mis en évidence les défaillances des services de santé du continent. Cependant, les investissements nécessaires font défaut. Le partenariat Sanitation and Water for All (SWA) estime le déficit d’investissement en Afrique à 50 milliards de dollars par an. Près d’un quart de la population africaine n’a toujours pas accès à l’eau potable et plus de la moitié ne dispose d’aucun système d’assainissement sûr.
Les défis de l’assainissement en Afrique : une menace pour les progrès réalisés
Les conflits, les perturbations climatiques et la pandémie de Covid-19 ont entraîné d’importants déplacements de population et ont mis en danger les progrès réalisés au cours des dernières décennies, souligne Guy Mbayo de l’OMS. Même lorsque les États s’engagent, ils se heurtent à un manque de données fiables pour planifier des politiques publiques à long terme, ce qui pose de véritables problèmes de continuité pour ces missions essentielles.
Les mégapoles en Afrique : des infrastructures d’assainissement insuffisantes
Les mégapoles, qui attirent de plus en plus de personnes à la recherche de travail, devraient accueillir la moitié de la population africaine d’ici 2035. Cependant, la croissance de ces villes dépasse largement celle de leurs infrastructures d’assainissement. Par exemple, Abidjan a entrepris de grands travaux pour réhabiliter la baie de Cocody, développer son réseau et renouveler ses canalisations publiques, mais la population a triplé en vingt ans pour dépasser les 6,4 millions d’habitants en 2021. Jusqu’à présent, seulement 40% des habitants d’Abidjan ont été raccordés au tout-à-l’égout.
Les villes moyennes : une adaptation urgente
Les villes moyennes, dont le nombre a explosé depuis les années 1970, doivent également s’adapter rapidement. Le Sénégal, par exemple, a construit la nouvelle ville de Diamniadio dès 2015 pour désengorger Dakar. Cependant, il lui a fallu créer des infrastructures modernes avec des moyens limités en tant que pays à faibles revenus. Cette équation à plusieurs inconnues prévoit l’accueil de 350 000 habitants d’ici 2040.
Améliorer l’accès aux services de base en dehors des mégapoles
Au cours des vingt dernières années, beaucoup d’efforts ont été déployés pour améliorer l’accès des Africains aux services de base et changer les pratiques, en particulier dans les zones rurales. Par exemple, à Madagascar, l’Unicef installe des équipements “tout-en-un” dans des villages qui parviennent à abandonner la défécation à l’air libre, malgré les difficultés d’approvisionnement en eau.
L’innovation comme solution pour l’assainissement
La raréfaction de l’eau dans de nombreuses zones du continent a conduit la Fondation Bill et Melinda Gates à lancer en 2011 le concours international Reinvent the Toilet, dans le but d’inventer des toilettes futuristes ne nécessitant ni eau ni électricité et valorisant les déchets humains. Ces initiatives ont donné naissance à un marché porté par des entreprises privées qui comblent le manque d’action des États. Par exemple, dans le township de Mukuru à Nairobi, un système de cabinets transformant les déchets en engrais a révolutionné la vie de milliers de Kényans.
Assainir l’Afrique : un défi colossal
Cependant, il est nécessaire d’aller encore plus loin pour permettre à l’Afrique, qui compte 1,26 milliard d’habitants et connaît une croissance démographique dynamique, de rendre ses villes et ses campagnes plus saines. Les gouvernements doivent faire de l’aménagement urbain une priorité nationale, car cela représente une véritable opportunité de développement pouvant générer jusqu’à 21 fois plus de valeur que les dépenses engagées, selon une étude de Vivid Economics. L’agence de conseil du groupe McKinsey estime également que la modernisation des services existants pourrait générer plusieurs dizaines de milliards de dollars de bénéfices nets d’ici 2040. Il est essentiel de les adapter aux épisodes d’inondations récurrentes, qui sont aggravées par les perturbations climatiques et entraînent des coupures de service et des dommages aux infrastructures.
En garantissant un meilleur accès à l’assainissement, l’Afrique pourrait bénéficier de nombreux avantages en termes de santé des populations, de réduction de la mortalité infantile, d’éducation, de productivité, de création d’emplois et de préservation des ressources naturelles. Il est temps de respecter ce droit fondamental, universel et humain, qui est inscrit dans les textes internationaux depuis près de cinquante ans.